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L'oeuvre du néant

Dernière mise à jour : 30 mai 2018

Le vieil étologue pleurait, dans la salle éclairée au néon, la petite grive jaune des étangs de l’Ardèche — dont le chant mélodieux n’avait jamais profité qu’en imagination aux rares savants ayant consulté le livre. Il riait dans ses larmes. « Elle n’a pas beaucoup vécu, la pauvre tourterelle. Nous sommes peut-être cinq sur cette terre à nous être penchés sur son existence. » Il montre obstinément la gravure sertie de texte serré, opaque, en latin. Un oiseau petit, commun, sur sa branche de cerisier en fleur, se détachant sur le ciel bleu sans dommage des rêves de l’homme. « A-t-elle jamais existé ? » Le vieil homme se plie de douleur, il porte le deuil de celle qui n’est jamais née. « Si petite, si jolie, si jaune. Pourquoi pas elle ? Pourquoi pas elle ? »

Nous, ses deux élèves respectueux et muets, nous échangeons un regard d’intelligence. Nous pensons, jeunes ignorants, que c’est faire oeuvre de néant que de déplorer l’inexistence du néant, si belles en soit les vaines couleurs.


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