Homme tu t’assieds le soir dans ta maison après une journée de travail
Tu t’assieds épuisé et sans force pour ta nuit
Tu te demandes pourquoi tu es si lourd
Quelle nature ingrate a fait de toi
Quelqu’un que tu t’épuises à porter
Chaque jour comme un poids trop lourd qu’on ne peut pas porter
Sur ton épaule gauche une marque rougie
Parfois le soir elle saigne comme sous les coups d’un fouet invisible
Pourquoi, quel châtiment, et quand, tu ne t’en souviens pas
Blessure immotivée qui va et vient sans cesse
Creuse les chairs, s’infecte parfois
Puis sèche au soleil sans qu’on s’en préoccupe
Puis se ré-ouvre pour qu’on s’en préoccupe
Se préoccuper de quoi ?
Il est là, inconnu
Logé là depuis ta naissance
Le fardeau qui te pèse
Tu es homme commun parmi les hommes et pourtant
Il te semble porter plus lourd
Quelque chose t'occupe, quelque chose t'empêche
C’est une connaissance
Latente, déniée
Inconsciente ou insue
Qui te pèse
Assieds-toi le soir devant ta maison sur une chaise
Secoue ce fardeau de tes épaules - il est là
Pose-le sur tes genoux, ouvre-le
Tout ce que tu sais et que tu ne veux pas savoir que tu sais
Qui attend que tu t’en empares à nouveau, que tu le considères
Qui se tient là comme un lourd chat endormi, tapi sur ton épaule depuis toujours
Le bagage accumulé de combien de vies ?
Ton œuvre intime, elle attend que tu la reprennes
Que tu la caresses
Que tu l’étudies
Que tu la serves
De vie en vie
Pose-la sur tes genoux
Traite-la avec respect
C’est un bien précieux
Personne ne peut te le prendre
Personne ne peut le porter à ta place
Personne ne peut l’aimer à ta place
Personne ne peut connaître ce que tu connais à la façon unique dont, toi, tu connais
Personne ne peut faire au monde ce que toi tu lui fais
Ce pour quoi tu y fus convoqué
Non pas une fois mais des milliers de fois
Peut-être des millions
Prends connaissance de ta connaissance
Ce monde que tu es pour toi-même et que tu ignores
Ne le porte pas sur ton dos comme un fardeau non voulu
La nuit venue, pose-le sur tes genoux
Regarde-le. Rencontre-le. Habite-le.
Reprends ta vie depuis ce seul repère
Seul repaire, père, mère
Reconnais tout ce que tu connais déjà
Que personne ne t’a appris que toi-même
A la force de ton coeur et de tes bras
Et reprends ton étude depuis ce moment-là
Oublie les mots menteurs
Oublie les savoirs qui n’en sont pas
Tu le sais, qu’ils n’en sont pas
Mais ne désespère pas de savoir
Car tu sais déjà et tu sauras plus encore
Et désespérer est le refus obstiné d’être seul
La révolte puérile d’être seul
Comme si on avait le choix
Et il te faudra faire ces deux chemins
Celui d’être seul et celui de ne l’être pas
Non pas une fois mais des milliers de fois
Peut-être encore des millions
Tout t'est promis
Tout t'adviendra
Tout, ça fait beaucoup
Il faudra en passer par tout
Tu es déjà passé par là
Homme fatigué de vivre écoute-moi
Vivre est ton travail
Quoi que tu vives
Le soir venu contemple le fruit de ton travail
Quoi que tu aies fait
Réjouis-toi
Car la vie et toi ensemble oeuvrez
A toi
Chaque minute inutile
Est utile
Chaque parole déplacée te rapproche d'une parole juste
Chaque ombre d'amour reçu ou donné
Justifie le monde
Chaque pas de côté
De travers
De trop
Est un pas vers toi
